Contes de Lyan Sanimere

Avec une impassibilité feinte, Erohiul la thaumaturge regardait vers l'est, en direction de l'holocauste qui s'approchait. Son coeur battait à tout rompre et son âme d'elfe hurlait de rage. Les orques brûlaient sa forêt et rien ne semblait pouvoir les arrêter. Les rejetons maléfiques d'Izrador mouraient par milliers, consumés dans les flammes qu'ils avaient eux-mêmes allumées pour faire sortir les elfes de leur forêt. Malgré tout, il en arrivait toujours, de plus en plus nombreux, venant du nord, comme un fleuve indomptable de crasse et de corruption sorti du sein du dieu sombre.

En secouant la tête pour dissiper ces images amères, Erohiul se concentra sur sa mission et se prépara à rassembler les forces magiques dont elle aurait besoin pour accomplir sa tâche. L'air était chaud à présent, et la fumée était étouffante. La ligne de feu se rapprochait, et derrière elle, les mages de guerre carinsils pouvaient apercevoir des formes sombres danser dans le ballet de cendres et de braises.

"Brûlez, bâtards!" pensa-t-elle tandis qu'elle achevait son sortilège de convocation. Dans un dialecte ancien et imperceptible issu du haut-elfe, Erohiul appela les esprits du Vieux Bois, ces êtres ancestraux dont la respiration était le zéphyr des clairières et dont la colère était la tempête qui agite les cimes des arbres en descendant des montagnes du nord.
"Nurellia, Anail, Ostara et Baile, veillez sur moi en cette heure funeste et rappelez-vous les vieux pactes de notre peuple. J'en appelle au Souffle de Gaofar et à la Voix de Fearg, colère du ciel et furie du vent. Repoussez les serviteurs de l'Ombre jusqu'aux lointains sommets du nord!" Ses derniers mots furent criés dans le vacarme des flammes, mais l'instant d'après , un silence soudain sembla s'emparer de la forêt. Le calme avant la tempête, annoncée par un vent d'une telle intensité qu'Erohiul dut s'accrocher à un bouleau situé près d'elle pour rester debout. Le hurlement du vent emporta les craquements du feu et fit place à un nouveau son : le rugissement des arbres en colère. Sorti de cette bouche invisible, un enfer de flammes tourbillonna vers l'est, consummant non pas le bois des arbres, mais la chair et les os des orques.

Erohiul crut qu'elle pouvait entendre les cris des "élus" d'Izrador au dessus du mugissement de la tempête de feu qu'elle avait libérée, et elle pleura. Pas pour ses arbres détruits par les orques, mais pour le monstre qu'elle était devenue en réponse à leur agression... Peut-être Izrador gagnerait-il fatalement cette guerre, quelles que soient les personnes qui s'opposeraient à lui sur le champ de bataille, jonché de cendre et de sang. Au loin, le tonnerre éclata, narguant la Caraheen avec la promesse d'une pluie qui ne tomberait jamais. Erohiul tressaillit en imaginant que c'était l'Ombre qui riait dans le Nord.

Eythorial était étendu et observait les maigres nuages qui traversaient la nuit étoilée. Il n'avait pas vu les étoiles depuis une décennie, mais il semblait normal qu'elles le regardent aujourd'hui. Il devait bien se comporter devant une telle audience. L'elfe des neiges détourna ses yeux vers les recoins sombres de la forêt, où un mouvement attira son regard. Ils arrivaient. Il n'avait plus beaucoup de temps désormais.

Un son inégal parvenait à ses oreilles et le sol sembla trembler. Il fallut un moment au maraudeur erunsil pour réaliser que ce son était celui de sa respiration laborieuse, et que ce tremblement était celui de son corps, frissonnant dans la neige. Il releva sa tête qui le faisait souffrir et accueillit cette douleur avec joie, car il ne ressentait presque plus rien et il savait combien ses blessures étaient sévères. En baissant le regard, il comprit pourquoi : ses jambes se trouvaient à plusieurs mètres de lui, dans une neige tachetée de sang. Cette vision le submergea, et l'elfe serra les dents et ferma les yeux pour lutter contre la nausée qui le prenait.

"Un peu plus de temps" pensa-t-il. "Juste un peu plus de temps."

Ouvrant les yeux, l'elfe des neiges regarda à nouveau ses jambes. Non loin, il aperçut une forme sombre : la silhouette massive d'un ogre maudit. Un éclat argenté, reflétant la lune, apparut à l'endroit où une dague transperçait la trachée de la créature. Eythorial grimaça et un rire étouffé lui échappa. Un joli lancer, mais un poil trop tard. La bête avait eu le temps de le couper en deux et d'éparpiller son corps dans la neige. L'elfe éprouvait tout de même la satisfaction d'avoir tué son assaillant. Une blessure minime portée à l'Ombre, qui ferait tout de même gagner du temps à son peuple.

Le crissement de la neige s'immisça dans son esprit, et, déplaçant son regard, il aperçut des formes sombres sur les berges de la rivière gelée sur laquelle il était étendu. Des orques et d'autres ogres maudits grognant s'approchaient de la scène sanglante. Malgré ses halètements, l'elfe entendait leur langage guttural, mais son cerveau, paralysé par le froid, n'en discernait plus la signification. Quand leurs ombres le submergèrent, il parvint à comprendre quelques mots.

"Ha! Le petit monstre est encore vivant! Répandons ses entrailles sur le sol!"

Eythorial ferma les yeux, pour éviter que les visages des orques ne soient sa dernière vision. Il souleva son bras vers le ciel, un geste de défi accueilli par des grognements moqueurs. Alors qu'Eythorial inspirait pour l'avant-dernière fois, il revit les images de sa forêt natale et cet endroit spectral où une femme aux yeux bleus et perçants portait une couronne de glace scintillante. Xione! Eythorial eut un sourire désabusé et s'excusa auprès de la Maîtresse du Bois Gelé pour ce qu'il s'apprêtait à faire.

Ramenant sa main contre lui, le dernier souffle d'Eythorial sortit de ses poumons et émit ce dernier son, "Eailin!"

Au moment où la pierre d'âtre qu'il serrait toucha la glace, elle émit une chaleur digne des forges des Erunsils et la fine épaisseur de glace sous laquelle couraient les eaux vives du Tyre fondit en cercle, jusqu'aux rivages.

L'esprit d'Eythorial n'entendit pas les craquements assourdissants de la glace. Il ne vit pas non plus les silhouettes en armure des orques et celles des ogres maudits aux larges épaules hurler alors qu'elles se noyaient dans les eaux glaciales. Le visage fantomatique de Xione attendait sous les feuillages des arbres, le sourire triste, unique chaleur émanant de sa silhouette glacée. Eythorial s'approcha, l'esprit lui fit signe de le suivre. Il entendit alors un murmure lointain prendre de l'ampleur, le grondement des mille milliers de voix qui résonnait dans la nuit. Elles accueillirent l'elfe qui rejoignit leurs rangs et lui promirent que son combat contre l'Ombre ne faisait que commencer.

Ahlissa se déplaçait sous les branchages de la forêt avec grâce, sans effort, glissant le long des racines lisses d'un cyprès aux branches étendues. Au-dessus d'elle, une fine brume dérivait dans un paysage humide. Non loin, le marais immobile était perturbé par la progression bruyante d'une énorme créature aux muscles et aux tendons saillants. Vêtu d'une inutile cotte de mailles, l'Orque tenait une épée en dents de scie, avec laquelle il frappait en vain le rideau de végétation qui s'agitait devant son visage. Les injures grognées par la créature étaient douloureuses pour les oreilles délicates d'Ahlissa, mais elle comprenait que celle-ci pouvait être énervée, comme semblaient d'ailleurs toujours l'être les "Elus d'Izrador". Ahlissa sourit intérieurement, et passa sa langue sur ses dents, imaginant la colère de l'Orque, qui sera plus grande encore lorsqu'il sera à sa merci.

"Maudit soit Kulos et son crapaud mangeur de fées!" Unulf cracha exagérément dans la boue et s'arrêta sous la lumière verte du marais. "Ah!" L'Orque cracha à nouveau et essuya la sueur qui perlait sur son front proéminent. Derrière son énervement, Unulf était terrifié. Il avait entendu parler de choses silencieuses et mortelles qui se tapissent dans la Marécage du Druide. De plus, s'il ne parvenait pas à remettre son message, la colère de Kulos aurait des conséquences au moins deux fois pires que le sort qui pouvait l'attendre ici. Unulf avala bruyamment sa salive à l'idée de voir sa tête empalée sur les portes de Cambrial.

"Malédiction! Malédiction!" tempêta Unulf. Où se trouvait ce maudit espion?

Serrant ses larges mains sur la garde de sa vardatch, il continua dans ce qu'il pensait être la bonne direction, et pénétra dans l'ombre des arbres où se cachait Ahlissa.

Elle se déplia doucement dans le dos de l'Orque, alors qu'il s'arrêtait une fois de plus, pour observer le paysage brumeux, à la recherche d'un repère pour le guider. Relâchant volontairement sa respiration, Ahlissa tressaillit de joie en voyant l'Orque se tendre et se retourner vigoureusement, tout éclaboussé d'eau stagnante et de boue. Avec une incroyable rapidité, Ahlissa frappa, sentant la lame de l'Orque faucher l'air sous son corps. Alors que sa mâchoire se refermait sur le cou de la pauvre créature, un sang chaud emplit sa bouche. Les os et la colonne vertébrale craquèrent facilement, l'armure de la créature ne lui étant d'aucune utilité. Avec langueur, Ahlissa se retira sous les grands arbres où elle habitait, emportant avec elle le cadavre.

Plus tard, après avoir mangé, le long serpent fouilla à l'aide de sa langue la boite en os que l'Orque transportait dans sa chemise. Des ornements en décoraient l'extérieur et ses extrémités étaient scellées avec des gravures d'argent. Ahlissa pouvait ressentir l'enchantement qui la protégeait, et son sang tiède frissonna. Bien, pensa-t-elle, un objet utile à échanger aux elfes... à moins que les légâts ne la rachète?

C'était la naissance du Premier Âge, l'époque à laquelle les jeunes fées allaient prendre le relais des anciennes. Les Trois Âges de leur futur règne sur Eredane, elles le passeraient à combattre Izrador, à repousser l'Ombre du Nord.

Dès le début du Premier Âge, la Mère de Tous, Fionial, était déjà une reine ancienne et sage. Elle savait qu'au cours des âges à venir, on ne ferait plus référence à sa personne mais à une métaphore, celle de la Mère de Tous et du symbole de la maternité suprême. Sa vie deviendrait une allégorie destinée à instruire celles qui s'apprêtent à accoucher, comment nourrir, aimer et laisser partir l'enfant chéri. Ces pensées lui faisaient plaisir mais la terrifiaient aussi.

Ses descendants étaient adultes, mais lorsqu'ils vinrent à elle ce jour-là, ils ressemblaient à des enfants effrayés par un cauchemar.

La fille de Fionial, que l'on appelait la fiancée de l'hiver, demanda : "Pourquoi un dieu du mal a-t-il souillé le nord de sa présence?"

La Mère de Tous répondit : "Le mal dont tu parles agit uniquement en accord avec sa nature. Vous ne pouvez espérer autre chose de lui que la douleur et la traîtrise et ainsi, vous ne serez plus jamais surpris par son venin."

L'enfant de la forêt de la Mère de Tous, qui avait construit des chemins dans les branchages de l'Arbre Primordial, demanda : "Comment les dieux ont-ils pu permettre à celui qui est tombé de fouler Eredane?"

La Mère de Tous répondit : "Les dieux veulent nous tester, mon enfant. Penserais-tu que sa chute des cieux ne fasse pas partie de leurs plans pour Eredane?"

Son enfant, qui était parti pour les jungles du sud, prétendant que c'était sa terre natale et celle de son peuple, demanda : "Pourquoi les démons qui autrefois ne faisaient que s'entretuer s'attaquent-ils maintenant à notre peuple?"

La Mère de Tous répondit : "Ce sont les pratiques de l'Ombre de changer l'amour en haine, de transformer le mal en pire, et de changer la lumière en ténèbres."

Le plus jeune de ses enfants, qui avait traversé les mers, porté par le vent et les voiles, demanda : "Où dois-je naviguer pour que l'Ombre ne me détruise jamais ni ne change mon amour en haine et ma lumière en ténèbres?"

La Mère de Tous répondit : "S'il existe une terre qui ne connaît pas l'ombre mais connaît la lumière, qui connaît l'amour mais pas la haine, eh bien je ne l'ai jamais croisée au cours de ma longue vie."

Les enfants ne furent pas apaisés par les réponses de leur mère, et ils continuèrent à argumenter entre eux, essayant de comprendre la sagesse de ses paroles. Alors que le tumulte de leurs discussions montait autour d'elle, Fionial abandonna son enveloppe charnelle derrière elle et mourut, un sourire serein sur le visage.

[Paroles de notre Mère, par la Reine Aradil]

L'Arbre Primordial leva les bras vers le ciel et tourna ses yeux vers les lumières des cieux. Il regardait les jeunes arbres de la Caraheen et ressentait un élan paternel pour les siens. Quand le premier roi des Carinsils chercha un endroit où bâtir son arbre et y placer son trône, l'Arbre Primordial l'invita à venir le voir, se balançant au gré du vent comme un danseur devant séduire ses spectateurs.

Le roi dit : "Vous m'avez convoqué, Arbre. Je suis honoré par votre singulière majesté, et ma seule peur est, en trônant à vos côtés, que ma couronne ne soit que peu de chose face à votre grandeur."

L'Arbre Primordial répondit : "Mon enfant, ton trône ne paraîtra jamais moins important que moi, car je le porterai haut vers les ciel. Ton arbre, ton peuple et ta cour seront toujours les choses les plus importantes d'Erethor."

Au début du Premier Âge, les saisons apprenaient quelle était leur place. A cette époque, l'hiver ne laissa pas forcément sa place au printemps. Il désirait être la seule saison, faisant d'Eredane une terre gelée et inculte. Une enfant de Fionial, la Mère de Tous, aimait la gloire cristalline de l'hiver, mais en détestait l'orgueil. Refuser de céder sa place au printemps était égoïste et mauvais pour Erethor, où la végétation reprenait vie chaque année, une fois le manteau neigeux fondu.

L'arc dans le dos et les poignards au fond de ses fourreaux portés aux hanches, elle se mit alors en chasse de l'hiver, comme s'il s'agissait d'un animal griffu aux dents longues. Les vents de l'hiver détournèrent ses flèches. Elle sortit ensuite une puissante lance, mais l'objet ne fit aucun mal à l'hiver. Elle dégaina enfin ses poignards et força l'hiver à se retirer dans les terres du nord.

L'enfant de Fionial suivit l'hiver jusque dans la Veradeen, le repoussant toujours et encore avec la pointe de ses poignards. Là, l'hiver la lacéra de ses griffes glacées et l'aveugla avec son souffle enneigé. La grêle frappa son visage et des hurlements déchirèrent ses tympans. A la fin, elle réussit à lui empêcher de prendre possession d'Erethor, en limitant son influence aux terres du nord.

Quand l'enfant revint de sa terrible bataille, ses pas étaient silencieux comme une nuit d'hiver, ses yeux étaient bleu ciel et cristallins, et ses cheveux tombaient sur ses épaules comme un voile blanc et neigeux. Son combat avait endurci son cœur, et une certaine distance s'installa entre elle et ses frères et sœurs. Elle n'appréciait plus les joies de la Haute Cour. Elle rassembla donc ses affaires, son arc, ses flèches, sa lance et ses poignards, et repartit vers le nord.

Sa mère lui demanda : "Mon enfant, pourquoi repartir dans le nord? C'est une terre cruelle et certainement plus hospitalière pour d'autres que pour nous."

L'enfant sourit : "Mère, j'ai chassé l'hiver vers le nord et j'irai surveiller moi-même cet endroit où je l'ai forcé à vivre pour toujours. J'ai combattu si longtemps cette saison qu'au plus profond de moi, son souffle froid me manque."

Fionial, la Mère de Tous, ne revit jamais son enfant, mais, à chaque fois que la neige venait couvrir les verts branchages d'Erethor, elle ressentait comme un tendre baiser sur son coeur. Et quand l'hiver venait à son terme et que le printemps se rendait maître de la forêt elfique, elle chuchotait un remerciement destiné à la plus déterminée de ses filles.

[La Ballade de la Première Femme de l'Hiver]

La première elfe qui nagea dans la baie de Miraleen fut enchantée par la beauté profonde de l'eau. Son frère était tombé amoureux d'Erethor, sa plus vieille sœur s'était mariée à l'hiver du nord, et sa plus jeune sœur était restée dans la jungle, prétendant que c'était là sa terre natale.

Finalement, elle avait trouvé sa demeure : la mer. Elle retenait son souffle, plongeait et goûtait la saveur des profondeurs. Navigant sur son navire, elle appréciait le vent et la marée, dont la volonté gouvernait à la surface de l'eau.

Un jour, Kaaktu la trouva sous l'eau, dans les ruines d'une antique cité, et ses saisit de ses bras puis de ses jambes, à l'aide de ses nombreux membres.
"Deviens ma fidèle", murmura-t-il.
"Tu es un esprit cruel. Malgré la force de tes bras, je ne deviendrai jamais ta fidèle", répondit-elle.
"Deviens ma fidèle!", dit-il d'une voix plus puissante, sentant monter en lui la colère et déversant son encre noire dans l'eau, pour aveugler l'elfe.
"Tu m'as aveuglée avec ton encre, mais même si tu peux me dérober la vue, je ne deviendrai jamais ta fidèle." Elle se débattit, car elle savait qu'elle ne pourrait plus retenir sa respiration plus longtemps.
"Sois ma fidèle", Kaaktu hurla. Il était clair que c'était la dernière fois qu'il le lui demandait, car il la serra pour vider l'air de ses poumons.
"Tu me prives de la vie, mais, malgré ta beauté, je ne deviendrai jamais ta fidèle", dit-elle, tentant une ultime ruse.
Flatté par les paroles de l'elfe, il relâcha son emprise. "Tu me trouves beau?"
Profitant de cet instant, elle attrapa son couteau et le planta dans un de ses yeux. "Je trouve que tout ce qui est dans la mer est beau, et je ne deviendrai pas ta fidèle, monstre maléfique."

Tandis que Kaaktu se tordait de douleur, elle s'enfuit à la nage. Ses yeux étaient encore assombris par l'encre maléfique, et ses poumons vides brûlaient. Tandis qu'elle nageait le plus loin possible du puissant esprit, elle sombra dans l'inconscience. Au moins, je vais mourir au milieu de cet endroit magnifique, pensa-t-elle une dernière fois.

Quand elle se réveilla, elle était étendue sur le rivage, et, au loin, un jet d'eau s'élevait dans les airs. C'est ainsi que le peuple de la Miraleen rencontra Baalu la baleine, l'esprit bienveillant de la baie. Et ce fut sur la plage où l'elfe se réveilla que fut construit le premier quai de ce qui deviendrait ensuit les ports de la Miraleen.

[Conte du peuple de la mer]

Aradil était encore une jeune princesse quand elle passait de nombreuses journées dans les coins les plus reculés d'Erethor, jouant avec les animaux sanguinaires. Elle rugissait avec les lions au plus profond de l'Aruun, mangeait du miel avec les grands ours au centre d'Erethor, et chassait l'antilope en compagnie des loups de la Veradeen. Quand elle revint à la maison, son père, le Grand Roi, était en colère et lui demanda de mettre des vêtements plus appropriés à son titre. Elle fit ce que son père demanda, mais n'enfila jamais de chaussures, marchant pieds nus, en mémoire de ces jours passés au milieu des griffes et des dents pointues, en mémoire de l'époque où elle forgea le Pacte d'Erethor.

[Fables d'Aradil, compilées par les scribes de la Haute Cour]

Dans les griffes glaciales du dieu sombre, les comptes seront scellés dans le sang. Un seul survivra pour tous les diriger. Même les plus puissants d'entre eux, ceux qui ont eu l'emprise sur le monde avant l'âge des hommes, s'abaisseront devant celui-là. Il lèvera les bannières de la guerre, et, comme la vermine, ils viendront en hordes depuis les profondeurs de la terre. La Plus Froide des Forêts brûlera, alors que la forteresse tombera en poussière.

[prophétie de l'Ordre de la Vérité]

Une mer se formera dans la Caraheen, une vaste mer de flammes. Elle s'étendra aussi loin que porteront les regards. De l'est viendra une gigantesque bête de métal, s'appuyant sur les os de la terre. Il nourrira le feu comme nul autre avant lui, apportant dans son sillage enfer et dévastation. Même la mort ne sera pas un refuge, car l'essence noire de ce feu ne laissera aucune âme reposer en paix.

[prophétie de l'Ordre de la Vérité]

Il fut un temps où les Dieux veillaient sur les fées
Un temps où sur Eredane les Elthedars régnaient
Puis vint l'Eclipse et ce fut la fin des temps
Les Dieux abandonnèrent Aryth et leurs enfants
Laissant une Ombre agonisante derrière eux
Corrompre les terres et souiller les cieux

Des ruines et des cendres du cauchemar
Émergèrent bientôt les jeunes Alethars
Des confins des forêts occidentales
Aux montagnes bordant l'Océan Pâle
Les jeunes fées reconquirent le monde
Oubliant l'Ombre au Nord furibonde

Mais l'Ombre maléfique n'était qu'assoupie
Ruminant sa vengeance, elle créa une race impie
Odrendors étaient leur nom
Qui bientôt furent légions
La mort sur leur passage ils semaient
Tandis qu'en Eredane ils déferlaient

Par deux fois, l'Ombre fut repoussée
Par une alliance des hommes et des fées
Mais la corruption des hommes est trop profonde Tandis que l'Ombre insidieuse déferle telle une onde
La troisième bataille sonnera le glas
Et l'Ombre finalement triomphera

Mais les Anciens Dieux dans leur grande prévoyance
Aux jeunes fées laissèrent une dernière chance
Au fond d'un cratère ils cachèrent quelques larmes
Un fragment de puissance céleste et une arme
Pour que l'Ombre reflue face à la Lumière
Et que les Alethars soient à nouveau libres et fiers.

[Nostalgie des Dieux, chant traditionnel des Alethars]

Le feu brûlait, hors de tout contrôle. Les arbres les plus anciens, certains atteignant plus de soixante mètres, étaient consumés par les flammes, elles-mêmes entretenues par les rafales de braises incandescentes portées par la colère de l'holocauste. Au beau milieu de ce décor, un petit groupe d'elfes des bois se déplaçait à travers les volutes de cendres, cherchant aveuglément une voie pour échapper à la tempête de flammes. L'un d'entre eux se mit à courir à l’aveuglette au milieu du maelström et des crépitements, comme s’il ne se souciait plus de l'incroyable enfer qui tournoyait autour de lui. Dans un fracas terrible, des branches enflammées tombèrent sur le groupe, manquant de peu l'elfe qui titubait. Un de ses compagnons s'empressa de agripper par le bras, et cria au dessus du vacarme du feu.

"Balis! Nous devons quitter cet endroit, nous ne pouvons rien faire contre les flammes, et si nous ne sortons pas bientôt de cette fournaise, nous allons mourir!"

L'autre fée, d'un âge extrêmement avancé, releva la tête, les joues inondées de larmes.

"Talor, ne les entends-tu pas? Je les entends hurler!"

"Entendre qui? Je n'entends rien d'autre que les crépitements du feu!" Talor secoua le bras de son compagnon. "Allons-y!"

Balis convulsa, se tordant de douleur. "Les arbres! Ils hurlent... Nous les avons abandonnés. Leurs esprits meurent et nous ne pouvons rien faire...

Talor regarda son ami avec compassion. Il comprit soudain. L'adepte du Murmure entendait les cris des esprits des fées et des arbres agonisants. Balis s'était plongé trop profondément dans le Murmure et souffrait désormais de la lente mais terrible agonie de celui-ci.

Narzakil cracha une pointe de cristal à l'odeur de chair pourrie, en poussant un soupir. Tout autour de lui, des amas de neige tombaient des pins sur le sol, dans la lumière du soir. La nuit serait belle et bien noire, et comblerait peut-être son envie pressante de combat. Par le Père Noir de tous les Orques! Dire qu'il respirait de nouveau l'atmosphère du grand nord... Les plaines du sud n'étaient plus qu'un souvenir pour lui. Elles l'avaient fasciné alors qu'il n'était qu'un guerrier sans expérience et sans cicatrice, mais deux ans avaient passé maintenant. Les villages et les cités humaines du sud disposaient toujours de nouveaux attraits : de nouvelles richesses à piller, de nouveaux humains à torturer (certains n'avaient jamais vu un orque de leur vie!). Mais aujourd'hui, il ne voulait plus combattre contre des cavaliers et des archers. Il avait envie d'un bon combat rapproché, sale, violent, poings serrés et vardatchs tranchantes.

Avec des ennemis dans lesquels il pourrait plonger ses dents pointues.

C'est peut-être parce qu'il avait bien agi en interceptant cette caravane d'épices illégales et de vêtements, qu'il avait été récompensé et renvoyé au nord. En tout cas, c'est ce que Katuuf, le légat, lui avait dit. Le prêtre souriait en disant cela, mais Narzakil savait par expérience que les humains faisaient souvent cela. En vérité, le froid était rafraîchissant ici, pas aussi plaisant que dans son pays natal, la Vallée des Larmes, mais c'était déjà ça. Malheureusement, il n'y avait pas grand chose à combattre ici. Les grands humains pâles qui vivaient ici permettaient de s'amuser un peu tout de même, car ils pouvaient se montrer violents s'ils étaient correctement provoqués : brûler vifs plusieurs d'entre eux, scalper leurs enfants... Ils sont tous chauves ici, quelle différence cela fait-il?

L'orque tourna la tête et regarda ses compagnons de tribu, assis dans la neige. Certains mangeaient des rations de viande séchée. D'autres profitaient de ce répit pour montrer à la forêt tout l'amour qu'ils lui portaient. Le commandant se tourna ensuite vers son second, légèrement penché devant un arbre. Moshrakk tenait entre ses mains une sorte de petit animal à fourrure et à la queue touffue. Il souriait tendis que sa nourriture se débattait. Narzakil s'approcha et attira son attention d'un coup de poing dans son dos.

"Moshrakk! Où sont Azort et Brugh? Ces bâtards étaient supposés surveiller nos arrières. Retrouve-les immédiatement!"

Moshrakk laissa tomber les restes de l'animal ensanglanté en faisant la moue, et saisit sa hache. Narzakil posa son pied calleux sur la pauvre bête avec mépris, ramenant le silence autour de lui. Encore une fois, il regarda ses hommes. Où était Ruzok? Il y a peu de temps encore, il était en train de se vider la vessie contre un arbre, et maintenant il était introuvable. Grognant, Narzakil traversa le camp, frappant ses orques du pied, pour les encourager à se relever plus rapidement.

Le commandant orque monta sur l'amas de neige sur lequel Ruzok se tenait peu de temps auparavant, et inspecta les alentours obscurs, cherchant du regard le reste de ses troupes. Là... on aurait dit que quelque chose avait baissé la tête dans les taillis. Il dévala le monticule et, s'approchant , il vit que la masse noire était un orque, certainement Ruzok, couché sur le côté. Narzakil retourna le corps avec le pied, et vit la bouche ensanglantée de son congénère, ainsi que la pointe de la flèche argentée qui lui avait transpercé la gorge. Il sourit. Chasser des archers n'était pas forcément ce qu'il avait espéré faire en venant ici, mais au moins c'était chasser quelque chose.

Le temps que Nazakil revienne vers le camp, ses poumons étaient prêts à laisser s'échapper un cri de ralliement, mais, en arrivant, il vit Moshrakk revenir à la clairière. Son second était chancelant, emmitouflé dans ses fourrures. Le chef s'approcha de son officier, mais Moshrakk s'écroula, maculé de sang. Il était déjà mort quand il toucha le sol.

Narzakil jura. "Levez-vous, petites natures!" La plupart de ses orques étaient déjà en train de saisir leurs armes et de se redresser. Quelque chose siffla dans l'air devant Narzakil tandis qu'il tirait sa vardatch de sa ceinture. Il tourna en suivant l'objet qui vint percer l’œil de l'un des orques derrière lui. Il se retourna rapidement pour éviter d'être attaqué par surprise et aperçut Drommoch en train de se battre avec... Cela ressemblait à un humain sinueux, vêtu de cuir et de fourrures, se déplaçant très vite et maniant de longs poignards. Une flèche trancha l'une des lanières de l'armure de peaux du commandant, et s'enfonça dans son bras musculeux. Il chercha des yeux l'archer et vit un autre orque, épinglé par une flèche sur un tronc. Droit devant lui, à genoux et le visage blême, Kroj perdait tout son sang, à cause d'une mauvaise blessure à la tête. Une des silhouettes agiles portait des poignards rouges. Ses yeux gris étudiaient l'orque. Hurlant, Narzakil fit tournoyer sa vardatch. La silhouette l'évita facilement, avant de disparaître furtivement derrière les branchages d'un sapin.

L'orque tournait sur lui-même, pour être sûr de ne pas se retrouver encerclé. Où étaient ses orques, ses guerriers? Tout ce qu'il voyait, c'était des cadavres allongés sur le sol, hérissés de flèches ou lacérés par des poignards. Soudain, une main gracieuse et puissante vint se poser sur son épaule, et il sentit le froid d'une lame en acier contre sa gorge. Une voix légère et mélodieuse souffla dans ses oreilles, en langue noire : "Meurs, monstre!

Nazrakil sentit sa gorge s'ouvrir, presque sans douleur, sous le tranchant précis de la lame. Son monde bascula. Avant même qu'il ne s'effondre dans la neige, les yeux ouverts, il avait déjà perdu une grande partie de son sang.

***

Selusrien s'agenouilla dans la neige, examinant le pauvre petit écureuil mort. Autour de lui, il pouvait entendre le son des lames de ses compagnons elfes en train d'éventrer les orques dans un silence pesant. Cette pratique s'avérait tout aussi satisfaisante que la décapitation pour empêcher les corps de se relever. De plus, elle effrayait les humains qui voyageaient avec les orques et pouvait dissuader certains de s'aventurer dans la région. Il creusa un trou dans la neige avec sa main et y plaça les restes du petit animal à moitié dévoré.

Il était en train de rassembler ses affaires quand son lieutenant, Phyrissa, approcha silencieusement. Son visage était aussi froide que d'habitude, aussi froid que la nuit au-dessus d'eux.

"Les corps sont enterrés et la neige a été nettoyée de nos traces, mon Sang", l'informa-t-elle.

Selusrien acquiesça avec grâce. Eh bien nous devrions pouvoir intercepter la prochaine patrouille. Reprenons position.

Les Erunsils se fondirent dans l'obscurité, reprenant cette chasse qui ne finirait jamais.

Des volutes de fumée irrégulières et menaçantes traversent le ciel, faisant tomber prématurément un crépuscule orangé sur la verte forêt. La suie tombe constamment, douce et portée par le vent, assombrissant la couleur des cheveux et des vêtements. Puis, ce sont des gouttes de pluie noire qui s'abattent, comme une huile sombre ou des larmes d'ébène et de deuil. La bise souffle légèrement, évoquant des cris fantomatiques emplis de souffrance et transportant l'odeur d'un charnier. Quand le sol devient trop humide, une vague de cendres mouillées rappelle à tous le passé. Sous la surface, des os noircis et carbonisés, une botte brûlée, des pierres noires et des branches mortes. Le squelette d'un arbre est planté là, comme une veuve effondrée sur un champ de bataille, et, au loin, on aperçoit la lisière de la forêt qui n'a pas encore été détruite, illuminée par les flammes qui la dévorent peu à peu.

La plus grande partie d'Erethor est vierge de tout chemin. Des forêts denses couvrent les collines, interrompues par des falaises et d'innombrables rivières, lacs ou mares. A certaines périodes de l'année, des zones entières de la forêt deviennent marécageuses ou sont même noyées, et plongées dans la brume et le brouillard glacé. Les cours d'eau sont certes nombreux mais ils n'offrent au voyageur que peu d'espoir de rejoindre une destination accueillante : la plupart mène à des ravins infranchissables ou disparaissent sous terre. Les imprudents qui s'aventurent ici risquent d'être engloutis dans les marais, où le voyage est difficile, à cause des nombreux détours imposés par la végétation et les trous d'eau.

Voyager en Erethor n'est pas une entreprise paisible, mais cela n'est pas seulement dû à la végétation. LA forêt semble faire obstacle aux voyageurs qui s'y aventurent sans y avoir été invités. Les chemins - ou même des paysages entiers - changent d'une heure à l'autre, et il est donc impossible de s'y retrouver, même avec une carte. Bien sûr, les natifs de la forêt n'ont aucun problème pour trouver leur chemin, et tout fonctionne comme si les arbres d'Erethor vivaient en harmonie avec les elfes pour faciliter et accélérer leurs déplacements.

A la fin du Premier Âge, la Bataille des Trois Royaumes vit les Nains, les Elfes et les Humains s'unir et défaire l'armée d'Izrador au bout de six jours d'un combat horriblement sanglant. Quand les armées s'affrontèrent, le ciel devint noir de flèches et le sol fut souillé du sang de milliers de victimes. Des démons et des esprits convoqués des recoins les plus sombres d'Eredane vinrent livrer bataille, et une magie puissante et terrifiante remplit l'amosphère. Alors que le sixième jour se terminait, un sinistre vent du nord se mit à souffler, apportant des nuages et des tempêtes magiques qui couvrirent le champ de bataille de poison et de glace. Même lorsque les armées de la Reine Sorcière repoussèrent enfin celles de l'Ombre, le miasme maléfique stagna au-dessus d'une large zone, tuant tout ce qui y vivait. Au grand dam des armées victorieuses, de nombreux blessés ne purent être secourus. Pénétrer sous le terrible nuage de magie corrompue revenait à encourir une mort certaine.

La magie de l'Ombre s'infiltra sur le champ de bataille, qui était autrefois une plaine fertile. L'herbe noircit et mourut. Le sol s'effondra et coula bientôt sous les eaux. Dans les années qui suivirent, la région sinistrée s'élargit, jusqu'à corrompre une large portion d'Eris Aman et de la lisière de la Veradeen. D'innombrables cours d'eau convergèrent et transformèrent la plaine en un marais aussi maléfique que mortel.

Au coeur de ce grand bourbier, les formes corrompues des sept vierges, sept mages de combat ayant survécu aux sortilèges des légats mais pas au nuage empoisonné, défièrent la mort et se transformèrent lentement en des parodies maléfiques de ce qu'elles avaient été. Elles devinrent les sorcières d'Eris Aman. Pendant un siècle elles surveillèrent leur territoire, répandant leur influence maléfique. Au Dernier Âge, les sorcières sont les plus terribles créatures qui se cachent dans le marais maléfique d'Eris Aman.

La Haute Cour prend de nombreuses décisions importantes concernant la guerre contre l'Ombre. Les conseillers s'assurent que les forces des Carinisils sont utilisées au mieux contre les serviteurs d'Izrador. La répartition des troupes, le choix des chefs en fonction des régions concernées et les temps de déploiement des armées, voilà tout ce qui peut être décidé par les nobles conseillers de la Haute Cour dans l'arbre de la Reine Sorcière. Ces nobles, dont les plus respectés sont des vétérans de la guerre, voient dans leur combat politique quotidien un élément essentiel et décisif pour le conflit en Erethor.

Les conseillers de la reine se rencontrent tous les soirs, quand la première étoile s'illumine dans le ciel. Une fois qu'ils sont rassemblés dans l'arbre de la Reine Sorcière, on pose à chacun d'entre eux une unique question, à laquelle ils doivent répondre avec honnêteté. "Quand la nuit tombe et que les étoiles s'embrasent, dites à vos frères et à vos soeurs ce que vous avez fait aujourd'hui pour combattre l'Ombre." Si un conseiller ne peut pas donner de réponse satisfaisante, il doit alors quitter son siège au conseil du Trône. La Reine Sorcière est rarement présente lors de ces rencontres nocturnes, mais elle semble avoir un instinct infaillible pour être présente la nuit où un conseiller doit abandonner son siège. En ces rares et sinistres occasions, Aradil porte sont regard noir et nsondable sur ses conseillers tandis qu'ils traversent le Hall du Conseil du Trône. A cette occasion, il arrive que la Reine Sorcière demande à celui qui doit quitter son siège de s'approcher. Elle lui parle alors doucement à l'oreille, et personne ne peut jamais entendre ce qu'elle lui dit.

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L'armée des elfes de bois est organisée en unités carinsils, appelées maudre ("clairière" en haut-elfe). Celle-ci sont subdivisées en eratha ("arbre"). Une maudre est composée d'approximativement 50.000 soldats, dont 50 eretha. Une maudre ne peut pas être mobilisée depuis Caradul sans la bénédiction préalable d'un seigneur ou d'une dame conseiller. Cela oblige les seigneurs-eretha et les dames-eretha à jouer le jeu de la cour, pour trouver des missions adéquates en fonction des spécificités de leurs troupes. Les généraux rechignent parfois à renvoyer une eretha de soldats à Caradul, de peur de la voir bloquée à la capitale, prise entre les enjeux politiques de la Haute Cour.

Des 400.000 personnes vivant en Erethor, la moitié est capable de se battre, et est assignée à une des quatre maudres. Chaque maudre porte le nom d'une saison. Quatre généraux, un pour chaque unité, répondent des actions de leur maudre devant la Haute Cour. Ils sont chargés de demander l'équipement, de discuter des mouvements et des missions de leurs eretha, et de rapporter les moindres déplacements de l'ennemi. La maudre de l'hiver est connue pour s'engager dans des combats désespérés, et s'en sortir avec moins de pertes que prévu. Celle de l'automne est connu pour sa discrétion (il est parfois arrivé que d'autres maudres se retrouvent sur le champ de bataille sans avoir remarqué la présence de l'automne!). La maudre du printemps est une unité de réserve, ses couleurs vives et ses cors sonnants sont synonymes d'aide et de soutien dans les moments désespérés. La maudre de l'été a pour réputation d'attaquer frontalement les orques, avant de disparaître dans la forêt comme elle est venue.

A l'intérieur d'une eretha, 13 elfes sont choisis pour être les maezulin, les enfants de Zulion. Ces unités spéciales de saboteurs et d'éclaireurs sont complètement autonomes à l'intérieur de leur eretha. Les maezulin sont chargés de protéger les groupes armés les plus importants contre les tentatives d'embuscade, et ils ont pour mission d'harasser ceux qui voudraient suivre les traces des groupes qu'ils accompagnent. Intégrer les rangs des maezulin est un grand honneur, même si de nombreux enfants de Zulion meurent chaque année au combat. Il arrive que des unités entières soient décimées alors qu'elles tentaient d'installer des trappes mortelles pour stopper les poursuivants.

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Les elfes sont les seuls à posséder encore des villes libres. Même les nains, protégés mais prisonniers derrière leurs forteresses souterraines, ne peuvent prétendre vivre librement. De tous les elfes, les Carinsils défendent la plus belle cité libre, le puissant joyau, la cité magique de Caradul. La sécurité qu'ils peuvent garantir aux réfugiés en haut de l'Arbre Primordial, placé sous l'influence fascinante de la Reine Sorcière, est une énorme responsabilité qu'ils ne prennent pas à la légère.

La destruction progressive d'Erethor, les nouvelles terribles décrivant le destin d'Eredane et les absences prolongées de leur reine agitent les esprits carinsils et les fondements même de leur puissance. Perdre la sagesse de la Reine Sorcière, celle du Bois aux Murmures ou perdre Caradul entraînerait certainement la chute de ce peuple, mais quoi qu'il en soit, ils lutteront jusqu'au bout.

Il n'y a pas un seul carinsil qui ne soit préparé à devoir tenir le siège de Caradul face aux orques, jusqu'à son dernier souffle. Ce peuple a combattu Izrador pendant trois Âges successifs, et ils sont prêts à combattre encore au Dernier Âge, quel que soit le prix à payer.

Les Danisils sont engagés dans une guerre unique en son genre. Les menaces démoniaques auxquelles ils font face sont dispersées et se disputent entre elles. Ces démons et ces esprits s'affrontent depuis des millénaires dans la jungle d'Aruun. Plusieurs âges d'emprisonnement dans l'Aruun ont fait de ces conflits une soupe de haine intense.

La structure des villages danisils, de leurs tribus et de leurs familles est élaborée pour les aider à survivre plus facilement dans la jungle. Leurs coutumes de mariage, leurs rites de naissance, et tout leur art de vivre a évolué pour permettre aux danisils de combattre efficacement les esprits malfaisants et déchainés de l'Aruun.

Quand un elfe veut faire une demande en mariage, il doit aller voir les anciens des deux villages concernés, et expliquer en quoi ce mariage aidera leur communauté. Aux yeux des danisils, les seules choses nobles sont celles qui apportent une aide quelconque au village.

La jungle d'Aruun est un endroit implacable rempli en dangers. Les contes, le folklore, et les proverbes y sont utilisés pour enseigner aux plus jeunes comment survivre et combattre les esprits et les démons. Cette tradition orale séculaire décrit toutes sortes de rituels pour ceux qui seraient assez courageux et disciplinés pour les apprendre. Les jeunes danisils doivent comprendre comment se protéger des multiples esprits maléfiques qui rôdent autour d'eux. Les enfants apprennent les fables et des chants qui leur expliquent les mille et une manières de tenir les démons à distance.

Les chasseurs de démons danisils ne combattent pas seulement les esprits. Parfois ils les soumettent à leur volonté, et utilisent leurs pouvoirs pour protéger le village. Ces chasseurs sont très précieux pour la survie de leur peuple, et ils voyagent de village en village, veillant à ce que les sceaux magiques soient encore efficaces, et enseignent leur connaissance aux enfants danisils (ce qui leur permet de garder un oeil sur les jeunes ayant le potentiel pour devenir à leur tour des chasseurs de démons).

Les chasseurs de démons voyagent souvent jusqu'en Erethor, et aident les carinsils contre les serviteurs de l'Ombre qui infestent les rivières. Chasser de nouvelles créatures, toujours plus mystérieuses, est une tâche quotidienne pour les chasseurs de démons danisils, qui passent leur vie entourés de créatures aux origines variées et inconnues. Ces spécialistes de la survie ont compris que la plus grande force de leur peuple résidait dans leur unité. Si les démons ne parviennent toujours pas à régner sur l'Aruun, c'est à cause de leurs incessantes luttes intestines, et grâce aux rituels danisils qui les tiennent en respect.

Les alchimistes et les confectionneurs d'élixirs font partie intégrante de la société elfique d'Aruun, ce que leur envient les autres peuples elfiques. Ces herboristes talentueux fabriquent de puissantes potions, certaines atteignant de temps à autre Caradul où la Haute Cour les distribue pour aider ceux qui s'opposent au siège d'Erethor.

Certains miransils combattent Izrador et aident le reste d'Eredane, en tant que capitaines sur les navires de marchandises. Ils se rendent dans des ports parfois dangereux et attaquent les navires de patrouille orques, qui mouillent près des berges. Izrador n'a pas lancé d'assaut sur la Miranleen. La peur de l'eau des orques et leur incapacité à combattre correctement sur des navires ont permis au peuple de la mer d'être épargné jusqu'à présent.

D'autres miransils préfèrent plonger dans les profondeurs dangereuses des cités englouties et infestées de démons et d'esprits. Ils considèrent leur tâche comme un devoir et ces héros recherchent des artefacts qu'ils ramènent à Caradul, dans l'espoir qu'ils servent l'effort de guerre.

La plus pathétique caricature de miransils que l'on puisse trouver est peut-être celle de ces elfes qui attendent le retour des navires que la Reine Sorcière a fait envoyer par delà l'océan à la fin du Troisième âge. Ils espèrent encore revoir ceux qu'ils ont aimés et qui étaient partis, pour écouter le récit de leur long périple. Ces elfes-là sont de tristes créatures, dont le regard se perd constamment dans l'horizon, attendant vainement d'apercevoir les voiles des navires de leurs bien-aimés, partis des siècles plus tôt.

Bien sûr, tous les miransils ne vivent pas paralysés par le désespoir, et de nombreux enfants des côtes ensoleillées voyagent jusqu'en Erethor pour faire profiter leurs cousins de leurs talents singuliers. Combattre en Erethor est particulièrement difficile pour eux, car ils se battent pour une cause d'ors et déjà perdue, et pour défendre une terre qui n'est pas la leur. En leur for intérieur, les miransils savent que si Erethor tombe, la Miraleen suivra. Néanmoins, l'idée de se battre pour la première fois contre les orques dans une contrée si éloignée de la mer ne les pousse pas à s'engager.

La plus grande chance de la Miraleen et son plus grand ennemi est le sentiment de paix et de sécurité qui émane d'elle. Observer le flux et le relfux des marées, pêcher et nager dans des eaux cristallines, voilà autant de choses qui peuvent rapidement faire oublier qu'à la frontière la lutte continue. Il est difficile pour les jeunes fées des mers de réaliser que près d'eux, Erethor est détruite peu à peu par les flammes et les coups de haches des orques. Il est encore plus compliqué pour eux d'imaginer que juste derrière la forêt, un continent entier a déjà été conquis par Izrador. Même en prenant en compte les démons qui vivent dans les profondeurs de la mer, la terre natale des miransils est de loin la plus sûre et la plus paisible de tout Eredane, et les jeunes elfes des mers naissent ici dans un endroit où nul orque n'a jamais marché.

La vie des miransils est la plus douce que l'on puisse imaginer en Eredane, mais il y a eu un prix à payer pour ce luxe : la moitié de la population. La Reine Sorcière envoya une immense flotte elfique rechercher des armes et de l'aide pour vaincre Izrador, dans les contrées lointaines. Personne ne sait ce qu'il est advenu de cette flotte, mais les plus beaux navires d'Eredane, accompagnés de 3.000 miransils (les meilleurs guerriers et les meilleurs navigateurs), quittèrent la côte il y a plus d'un siècle pour permettre à la civilisation elfique de perdurer. Personne n'a plus jamais eu aucune nouvelle d'eux.

Alors que la horde des orques écrasait sans mal les ruines du Long Rempart, le Grand Roi Hedrig se prépara à son dernier combat. Il ne se berçait d'aucune illusion, sachant que ses forces étaient trop faibles pour pouvoir faire plus que ralentir l'avancée de l'Ombre de quelques jours. Il savait qu'il était condamné et que fuir ne ferait que mettre en danger ses proches. Mieux valait ses battre et mourir pour que les autres ne subissent pas le même sort que lui. Lorsqu'il sortit d'Alvedara à la tête de son armée, un petit groupe de soldats quitta discrètement la ville, chevauchant vers le sud à tombeau ouvert. Selon la légende, ce groupe escortait les plus fidèles serviteurs du roi et sa jeune épouse, alors enceinte. Personne ne sait où ils allèrent et aucun récit n'évoque la capture ou la mort de la reine.

La nouvelle d'une lignée royale et d'un héritier a creusé son lit comme une rivière lente mais inexorable à travers les villes de l'Eren méridional. Certains disent que cet héritier se cache avec une bande de hors-la-loi dans la forêt du Sahi. D'autres, qu'il a été élevé parmi les cavaliers nomades des plaines. Certains pensent qu'il a voyagé jusqu'à l'île d'Asmadar pour communier avec les esprits du sommet des Anciens afin de rassembler les pouvoirs de ce lieu et de les utiliser pour défendre sa cause. D'autres secouent la tête d'un air entendu, sûrs qu'il a navigué jusqu'au continent de Pellurie et rassemble, en ce moment même, une armée composée des peuples de ses ancêtres pour venir au secours d'Eredane.

...dirigeante de la forêt, Etheldar-née, tiens compte de mon appel car ton malheur n'est pas que le tien. Bien que je sois jeune, ton temps est tout sauf passé et la plaie se propagera jusqu'à ce que je tombe dans l'ombre ...

"Que dois-je faire...?"
Il n'y a rien que tu puisses faire pour circonvenir la plaie.
Il faut que tu attendes ceux qui seront mes enfants, eux seuls seront en mesure d'arrêter la propagation de la plaie.
"Est-ce que ces enfants seront en mesure de te guérir complètement?"
(silence) ... Non.

Extraits du journal d'Aradil, Conversations avec Aryth

De toutes les créatures d'Aryth, peu sont aussi énigmatiques qu'Aradil, la Reine Sorcière d'Erethor. Ses actes sont légendaires, et rares sont les gens qui n'ont jamais entendu son nom ou au moins son titre. Elle est extrêmement âgée, même par rapport aux standards elfes ; la plupart des calculs lui donnent près de 9000 ans. Elle semble sans âge, mais ses yeux trahissent le poids de tous ces années où elle a vécu. Son humeur est souvent mélancolique, son attitude modérée sauf si elle est poussée à la colère.

Même parmi son propre peuple, la vraie nature d'Aradil et ses objectifs sont remis en question. L'idée fausse la plus populaire est qu'elle est un dragon qui a choisi de prendre la forme d'une belle femme elfe. D'autres récits se basent sur ses étonnants pouvoirs de sorcellerie, et suggèrent qu'elle pourrait être une incarnation de la magie d'Aryth. Certains légendes sarcosiennes disent qu'Aradil est tombée du ciel comme une étoile avant l'Eclipse, un enfant des Dieux qui a depuis été pris au piège,
comme son ennemi sombre, dans la coquille du monde mortel. Même les Dorns ont leurs contes. Ils sont rarement flatteurs, puisque les hommes du Nord craignent la magie de la Reine Sorcière presque autant qu'ils méprisent Izrador, et certains disent qu'elle cherche à contrôler le monde de la même manière que l'Ombre du Nord.

Quelques-uns parmi les plus anciens le disent, Aradil est une figure tragique qui a été forcée de renoncer à son humanité pour protéger son peuple. Tout ce qu'elle a fait depuis qu'elle est montée sur le trône l'a été pour protéger sa famille elfique de l'Ombre du Nord. Pourtant, même la reine sorcière ne peut pas être entièrement désintéressée. La lutte contre l'Ombre est devenu un problème personnel pour elle, une facette de sa personnalité qui est si intrinsèque à son être qu'elle dépérirait probablement si Izrador venait à être vaincu.